La Crise et la Révolution
le Capital expliqué avec des geckos
Livre III

la Crise et la Révolution

Section 1 : Les premières fissures

Chapitre 1 : La crise des toiles invendues

À force de produire avec ses machines ultra-rapides, Monsieur Croesus et ses concurrents inondèrent le marché de toiles d'araignées artificielles. Il y en avait partout !

Mais un problème survint. Pour augmenter leurs profits, les capitalistes-geckos avaient gardé les salaires de leurs ouvriers très bas. Les ouvriers, qui formaient la majorité de la population, n'avaient pas assez d'argent pour acheter toutes ces toiles qu'ils avaient eux-mêmes produites.

crise de surproduction

Les entrepôts de Monsieur Croesus étaient pleins à craquer de toiles invendues. Les marchands ne passaient plus commande. C'est la crise de surproduction. Ce n'est pas une surproduction par rapport aux besoins des geckos (beaucoup auraient bien voulu une nouvelle toile !), mais une surproduction par rapport à ce que le marché pouvait absorber financièrement.

Des usines fermèrent, des ouvriers se retrouvèrent au chômage, et la crise s'installa dans le monde des geckos.

Chapitre 2 : La forêt brûle et repousse

La grande crise des toiles invendues fut terrible. De nombreuses petites entreprises de geckos firent faillite. Leurs ateliers furent abandonnés et leurs machines vendues pour une bouchée de pain. Le chômage était partout, et la misère s'étendait dans la forêt.

Mais Monsieur Croesus, plus riche et plus prévoyant, avait survécu. En se promenant au milieu des usines en ruine de ses anciens concurrents, il ne voyait pas une fin, mais une opportunité. C'était le moment de la restructuration supérieure.

restructuration supérieure du Capital

D'abord, il profita de la faillite généralisée pour racheter à vil prix les machines et les ateliers de ses rivaux. Le capital de ses concurrents était dévalué, et il l'absorba pour presque rien. Il fusionna tout cela en une seule et gigantesque entreprise : la "Gecko-Méga-Corp". Le capital n'avait pas disparu, il s'était concentré entre ses seules mains.

Ensuite, il ne se contenta pas de relancer la production de toiles. La crise lui avait appris qu'il fallait innover. Il investit dans une toute nouvelle technologie : le "Tisseur Solaire", une machine révolutionnaire qui créait des tissus légers et auto-chauffants. C'était un nouveau produit, pour un nouveau marché, qui créait une nouvelle vague de désir chez les consommateurs geckos.

Enfin, il réembaucha une partie des travailleurs. Mais comme le chômage était élevé, il put imposer des salaires plus bas et des conditions de travail plus dures. Fort de son nouveau monopole, il dicta ses règles.

Gekko observa ce nouveau monde. La fumée de la crise s'était dissipée. Des usines tournaient à nouveau et des geckos avaient retrouvé du travail. Mais la forêt avait changé. Les petits patrons avaient disparu, remplacés par l'ombre immense de la "Gecko-Méga-Corp". La crise avait agi comme un feu de forêt : elle avait détruit les plus faibles pour permettre à un arbre plus grand et plus puissant de pousser à leur place, rendant le système encore plus intense et préparant, sans le savoir, le terrain pour la prochaine crise, encore plus grande.

Chapitre 3 : L'ombre de la Méga-Corp

Les directeurs de la "Gecko-Méga-Corp" eurent une nouvelle idée. Ils avaient remplacé les travailleurs chers par des travailleurs bon marché. Mais une pensée plus audacieuse encore germa dans leur esprit : "Pourquoi amener le travailleur bon marché à l'usine, quand on peut amener l'usine au travailleur bon marché ?"

Ce fut le début des grandes délocalisations. Les vieilles usines de la forêt natale, celles où Gekko avait vu ses amis et ses parents travailler, fermèrent les unes après les autres. Un silence morne s'installa dans les vallées autrefois bruyantes. Les machines, ce fameux capital constant, furent démontées, chargées sur d'immenses barges en feuilles et envoyées par-delà l'océan de rosée. C'était l'exportation des capitaux : le capital lui-même fuyait sa patrie pour chercher un profit encore plus grand ailleurs.

délocalisations et impérialisme

Dans ces terres lointaines, peuplées par des tribus de geckos qui vivaient simplement de la chasse et de la cueillette, l'arrivée de la "Gecko-Méga-Corp" fut un bouleversement. Une usine gigantesque, plus grande que la plus haute montagne de la région, fut érigée. La corporation ne se contenta pas de construire une usine ; elle construisit un port, des routes, et s'immisça dans la politique locale. Elle offrit des cadeaux luxueux au chef de la tribu, qui, en échange, lui accorda des terres, des droits exclusifs et des lois sur mesure.

La tribu perdit son autonomie. Ses membres abandonnèrent leurs anciennes traditions pour devenir des salariés de l'usine, travaillant pour des salaires de misère qui leur permettaient à peine de survivre. La terre lointaine n'était plus une nation indépendante, mais une simple province économique de la Méga-Corp. C'était l'impérialisme dans sa forme la plus pure : la domination économique et politique d'une région par le capital exporté d'une autre, plus puissante.

Gekko comprit alors que la faim du capital était sans limites. Quand son propre pays était entièrement exploité, il devait, pour survivre, s'étendre et soumettre d'autres peuples, transformant le monde entier en son terrain de jeu personnel.

Chapitre 4 : Comment le Grand Lézard apprit à obéir

Gekko s'était toujours demandé à quoi servait le "Grand Conseil de la Canopée", le gouvernement des geckos. Il était dirigé par le Grand Lézard, un vieux gecko respectable qui portait la couronne de feuilles la plus haute de la forêt. Le Conseil était censé s'occuper du bien-être de tous. Mais Gekko remarqua une chose étrange.

l'État au service du Capital

Chaque fois que les ouvriers-geckos demandaient une part plus juste des richesses, le Grand Lézard apparaissait sur les balcons pour dire que c'était impossible, que cela "nuirait à l'économie". Pourtant, quand Monsieur Croesus et les autres grands patrons de la Méga-Corp voulaient quelque chose, ils n'avaient pas besoin de manifester. Ils étaient invités à des dîners secrets dans les plus hautes branches, où ils murmuraient leurs désirs à l'oreille du Grand Lézard.

Le lendemain, comme par magie, le Conseil votait une nouvelle loi. Une loi pour "flexibiliser le travail" (qui permettait de licencier plus facilement). Une loi pour "encourager l'investissement" (qui baissait les impôts sur les profits). Une loi pour "sécuriser les routes commerciales" (qui envoyait l'armée des geckos protéger les convois de la Méga-Corp dans les terres lointaines).

Gekko comprit alors. Le Grand Lézard, l'État, n'était pas un arbitre neutre. Il était la superstructure, le squelette politique qui venait protéger et légitimer l'infrastructure économique. La base économique, contrôlée par la classe capitaliste, déterminait ce que l'État faisait. Le Grand Lézard n'était pas le maître de la forêt ; il était le gérant des affaires communes de la classe dominante. Sa fonction n'était pas d'assurer le bonheur de tous, mais de garantir que le système qui enrichissait quelques-uns continue de fonctionner sans entrave. Le Grand Lézard avait appris à obéir non pas à son peuple, mais à ceux qui possédaient les usines et les capitaux.

Section 2 : La fuite en avant

Chapitre 5 : Le grand grincement silencieux

Les saisons passèrent, puis les décennies, puis les siècles. La "Gecko-Méga-Corp", fondée par l'ancestral Monsieur Croesus, avait prospéré au-delà de toute imagination. Elle était devenue le Monde. Il n'y avait plus d'entreprises concurrentes, plus de terres inconnues à découvrir, plus de geckos vivant en dehors de son système. De la plus haute branche au plus profond terrier, tout était une marchandise.

L'innovation avait atteint son apogée. Des usines entièrement automatisées, gigantesques et silencieuses, produisaient des flots continus de biens. Mais la grande machine commençait à tousser. Chaque restructuration passée avait fonctionné en trouvant de nouvelles niches, de nouvelles technologies, de nouveaux consommateurs. Mais maintenant, il n'y avait plus rien de nouveau à conquérir. Le capital avait envahi tout l'espace vital.

Et puis, la crise arriva. Pas une crise comme les autres. Pas une tempête qui détruit pour mieux reconstruire. Ce fut un grand grincement silencieux.

La production, toujours plus efficace, créait des montagnes de biens, mais les salaires, compressés au maximum par l'automatisation, ne permettaient plus à personne d'acheter. Les entrepôts débordaient de merveilles inutiles.

paupérisation absolue dûe à la crise de surproduction

Les descendants de Croesus, des geckos pâles qui ne vivaient que dans des salles de conseil, essayèrent d'appliquer les vieilles recettes.

"Restructurons !" crièrent-ils. Mais comment ? Racheter les concurrents ? Il n'y en avait plus. Innover ? Pour créer quoi, que des geckos sans argent pourraient acheter ? Baisser encore les salaires ? C'était impossible, il n'y avait presque plus de salaires.

Pour la première fois, le capital ne trouvait aucune issue. Il ne pouvait pas se dévaloriser pour renaître plus fort. Il avait atteint sa limite absolue. Il ne pouvait ni avancer, ni reculer. Les usines tournaient à vide, par pure inertie, accumulant des richesses sans valeur pour une société paralysée.

Gekko, notre vieux Gekko, ou peut-être l'esprit de sa curiosité qui flottait encore dans la forêt-monde, regardait la scène. Il ne voyait pas une explosion, mais une implosion. Le système ne s'effondrait pas dans un fracas de guerre ou de révolution, mais se figeait dans une absurdité glaciale, étouffé par sa propre et monstrueuse réussite. Le grand moteur de l'histoire, qui avait tourné si vite, était en train de s'arrêter, non pas dans un bang, mais dans un interminable et silencieux grincement.

Chapitre 6 : L'Argent qui fond

Dans la capitale de la "Gecko-Méga-Corp", le silence était d'or, et l'or ne valait plus rien. Des montagnes de pièces de rosée dormaient dans les coffres des descendants de Croesus. À quoi bon investir dans des usines qui produisaient déjà trop ? À quoi bon dépenser quand on possède déjà tout ? Le grand moteur du capital était gelé.

Face à cette paralysie totale, les grands financiers de la Canopée eurent une idée folle, une idée contre-nature : si l'argent refuse de bouger, il fallait le forcer. La Grande Banque annonça une nouvelle règle : désormais, l'argent qui dort va fondre. Pour chaque centaine de pièces de rosée laissée dans un coffre, une pièce s'évaporera à la fin de l'année. C'étaient les taux d'intérêt négatifs. Pour la première fois dans l'histoire, garder de l'argent coûtait de l'argent.

Ce fut la panique chez les ultra-riches. Leurs fortunes gigantesques, qu'ils pensaient éternelles, commençaient à s'évaporer ! Il fallait dépenser, et vite !

relance par l'offre et inflation, taux d'intérêt négatifs

Mais comment ? Ils ne pouvaient pas investir dans la production, car personne ne pouvait acheter plus de marchandises. Ils se lancèrent alors dans une frénésie de dépenses absurdes. Un baron gecko fit construire une immense pyramide de pièces de rosée pures, un monument inutile qui brillait sous le soleil. Une duchesse acheta mille voitures-feuilles de luxe, qui furent alignées dans un champ où elles rouillèrent lentement.

Pendant que les riches brûlaient leur capital dans un feu d'artifice de gaspillage pour échapper à la taxe sur l'oisiveté, la situation des geckos ordinaires ne changeait pas. Ils regardaient, le ventre vide, ces spectacles insensés. La pyramide d'or ne se mangeait pas, et les voitures de luxe ne les logeaient pas.

Gekko comprit alors l'ultime contradiction. Le système était si malade qu'il punissait l'épargne, son ancien moteur, pour forcer la dépense. Mais sans adresse le problème fondamental – la pauvreté de ceux qui créent toutes les richesses – cette dépense forcée n'était qu'un spasme final. L'argent fondait, oui, mais il ne faisait qu'irriguer le désert de l'absurdité, juste avant l'extinction finale de toute valeur.

Chapitre 7 : Le retour du Grand Lézard

Le gaspillage frénétique des riches n'avait rien résolu. Les pyramides de pièces de rosée ne se mangeaient pas et le problème fondamental demeurait : les geckos prolétaires, la masse immense de la population, n'avaient aucun pouvoir d'achat. Les entrepôts de la "Gecko-Méga-Corp" se remplissaient de nouveau.

Dans les hautes tours de la capitale, les descendants de Croesus et les derniers grands bureaucrates comprirent que leur système allait mourir. Ils décidèrent alors de faire ce qui était autrefois impensable : réveiller le "Grand Lézard", l'appareil d'État, mais un État fusionné avec la corporation, un État-Corpo totalitaire. Sa nouvelle mission : non plus gérer la production, mais forcer la consommation.

La méthode fut d'une simplicité terrifiante. Chaque semaine, l'État-Corpo versait à tous les geckos sans travail une allocation minimale, la "Rosée de Survie". Ce n'était pas un salaire, mais une perfusion directe de pouvoir d'achat. Cependant, cette rosée avait une particularité : elle était programmée pour s'évaporer. Chaque pièce portait une date d'expiration. Si elle n'était pas dépensée dans les sept jours, elle disparaissait.

“helicopter money”, interventionnisme et retour de l'appareil d'État

Ce fut une révolution. Les rues commerçantes, autrefois désertes, se remplirent de geckos anxieux. Ils ne faisaient plus la queue pour travailler, mais pour dépenser. Chaque semaine, c'était la même course folle : recevoir la rosée périssable de l'État et se précipiter dans les magasins de la Méga-Corp pour l'échanger contre des biens de consommation avant qu'elle ne s'évanouisse.

L'économie semblait revivre. Les marchandises circulaient. Mais ce n'était qu'une illusion de vie. Les geckos n'étaient plus des producteurs, ni même de véritables consommateurs choisissant librement. Ils étaient devenus le dernier rouage du système : des conduits forcés. L'État-Corpo leur donnait de l'argent non pas pour leur bien-être, mais pour qu'ils le rendent immédiatement à la Méga-Corp, assurant la circulation minimale nécessaire pour que le système ne s'effondre pas complètement.

Gekko, observant ce cycle final, comprit la nature du Grand Lézard. L'État n'était pas revenu comme un sauveur, mais comme un geôlier. Il avait transformé la survie elle-même en un acte de consommation obligatoire. La liberté avait disparu. La partie semblait terminée, et le capital, éternel.

Pourtant, dans les tunnels les plus profonds, là où l'humidité empêchait les caméras de fonctionner, quelque chose se passait. Une nuit, une jeune geckette nommée Tia (peut-être une lointaine descendante de notre Gekko originel) découvrit une cache, derrière une vieille canalisation. À l'intérieur, protégés par une épaisse toile de soie d'araignée, se trouvaient des objets que personne n'avait vus depuis des siècles : des livres.

retour de la conscience de classe

De vrais livres, écrits à la main sur de l'écorce séchée.

Ce soir-là, une dizaine de geckos se réunirent autour d'une unique bougie-champignon. Le plus vieux d'entre eux ouvrit le premier livre, dont le titre était calligraphié en lettres maladroites mais fières. Il lut à voix haute : « Comment on cassa le monde d'avant ».

Et tandis que la lueur dansait sur les visages attentifs, les geckos commencèrent à écouter le récit de leur propre histoire oubliée, le secret de la naissance de leur monde. Le grondement de la vieille taupe n'allait pas tarder à se faire entendre à la surface.

Section 3 : Le réveil de la Taupe

Chapitre 8 : Le grondement de la Vieille Taupe

Le cycle de la "Rosée de Survie" semblait parfait, une horloge éternelle. L'État-Corpo donnait, le prolétaire-gecko recevait, le magasin de la Méga-Corp reprenait. La circulation était fluide, la paix sociale assurée par la consommation forcée et la surveillance constante des policiers-geckos. Les maîtres du monde-forêt pensaient avoir atteint la fin de l'histoire. Ils avaient oublié un détail. Un détail souterrain.

Tout commença dans les bas-fonds, dans les égouts oubliés et les tunnels désaffectés du métro-racine. Loin des caméras et des vitrines scintillantes, la vie s'était réorganisée. Des geckos avaient commencé à se parler, non pas de la dernière babiole à acheter, mais de la faim qui persistait malgré la dépense, de la vacuité de leur existence. Ils étaient la « vieille taupe », creusant patiemment dans l'obscurité, invisibles à l'œil du pouvoir.

la vieille taupe

Le premier acte de défi fut presque invisible. Un petit groupe de geckos, dans un quartier ouvrier, décida de ne pas se précipiter. Ils laissèrent leur "Rosée" s'évaporer. Ce fut un acte de suicide économique, mais aussi un acte de libération. Pendant une semaine, ils partagèrent le peu qu'ils avaient : un champignon cultivé en secret, un outil réparé, un service rendu. Ils redécouvrirent l'échange sans argent, l'entraide sans profit.

La nouvelle se propagea comme une traînée de poudre dans les réseaux souterrains de la vieille taupe. Le simple fait de ne pas consommer devint une arme. Des "zones de non-dépense" commencèrent à éclore. Dans ces poches de résistance, on réparait les vieux objets au lieu d'en acheter de nouveaux, on organisait des cantines communes, on lisait à voix haute des textes interdits qui parlaient d'un temps où le travail avait un sens.

Le prolétariat, autrefois masse amorphe et passive de consommateurs, redevenait une classe consciente de sa propre force. Il passait de la défensive à l'offensive. La lutte n'était plus seulement pour la survie, mais pour la destruction du système qui les avilissait. Des commandos de geckos sabotèrent les distributeurs de "Rosée". D'autres organisèrent des carnavals moqueurs devant les magasins de la Méga-Corp, tournant en ridicule l'obligation de consommer.

L'État-Corpo, paniqué, envoya ses escouades de police. Mais comment arrêter un ennemi qui ne demande rien, qui ne revendique rien, si ce n'est le droit de se retirer du jeu ? La vieille taupe avait creusé ses galeries depuis si longtemps et si profondément que lorsque le sol se mit à trembler, il était déjà trop tard. Le jour où des dizaines de milliers de geckos, sortant de leurs tunnels, convergèrent vers la grande tour de la Méga-Corp, ce n'était pas une émeute. C'était la terre même qui, après avoir été creusée de l'intérieur, s'apprêtait à engloutir ses maîtres.

Chapitre 9 : La Révolution qui ne s'arrête jamais

La grande tour de la "Gecko-Méga-Corp" tomba dans un nuage de poussière et de verre. Le Grand Lézard était décapité. Des scènes de liesse éclatèrent dans toute la forêt-monde. Le vieux système, qui semblait éternel, s'était effondré.

Un "Comité de Salut du Gecko" fut rapidement formé par les leaders les plus respectés de l'insurrection. Ils étaient honnêtes et courageux. Leur plan était simple : prendre le contrôle des usines, planifier la production pour répondre aux besoins de tous, et établir une nouvelle république juste et équitable. Pour eux, la révolution était terminée ; il fallait maintenant construire la nouvelle société.

Mais au milieu de la fête, Gekko – ou l'esprit de sa curiosité jamais satisfaite – ressentit un malaise. Changer les chefs, mais garder les usines, les salaires, l'argent ? N'était-ce pas simplement repeindre la cage ? Il vit la "vieille taupe" s'agiter de nouveau, non pas contre l'ennemi vaincu, mais contre les nouveaux amis au pouvoir.

La rupture éclata au grand jour lors de l'Assemblée de la Canopée. Le chef du Comité déclara : "La révolution a triomphé ! Maintenant, retournons au travail pour reconstruire !"

Une voix s'éleva alors depuis les branches les plus basses. C'était une vieille Geckette, une de celles qui avaient organisé les premières zones de non-dépense. "Camarade," dit-elle, "la révolution politique a triomphé. La révolution sociale, elle, ne fait que commencer. C'est une Révolution Permanente !"

Un frémissement parcourut l'assemblée.

"Nous ne devons pas nous arrêter !" continua-t-elle. "Nous devons abolir les usines pour les remplacer par des ateliers à notre mesure. Nous devons abolir le salariat, pas seulement le rendre plus juste. Et surtout, notre révolution ne survivra pas dans une seule forêt ! Tant que la Méga-Corp existe encore par-delà l'océan, son poison reviendra nous infecter. Nous devons utiliser nos ressources pour aider nos frères des terres lointaines à se soulever eux aussi !"

Révolution permanente

Ce fut le début d'une nouvelle lutte, au cœur même de la victoire. D'un côté, ceux qui voulaient s'arrêter, construire un nouvel État, fût-il prolétaire. De l'autre, ceux qui voulaient tout dissoudre dans un processus continu de transformation. Ces derniers n'attendirent pas les ordres. Ils formèrent des conseils autonomes, envoyèrent des "missionnaires révolutionnaires" sur des radeaux de fortune, et commencèrent à organiser une vie basée sur le principe : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins."

La révolution n'était pas un grand soir, comprit Gekko. C'était un matin perpétuel, une lutte de chaque instant pour ne pas laisser de nouvelles chaînes remplacer les anciennes. C'était un processus sans fin, se propageant à la fois en profondeur dans la vie sociale et en largeur à travers le monde.

Fin

Et c'est ainsi que Gekko, à travers ses aventures, découvrit les grandes idées du Capital.

fin

Il comprit que le monde économique des geckos, comme celui des humains, suivait des règles complexes, souvent invisibles, mais qui avaient des conséquences très réelles sur la vie de chacun.